L’approche « Trauma-informed care » ou le rappel de l’importance de l’éthique relationnelle et de la communication non-violente dans les liens professionnels et thérapeutiques

Synthèse par Dr E. Escard.
Depuis une dizaine d’années dans les pays anglo-saxons est mis l’accent sur la nécessité de former les professionnel-le-s de la santé (et des autres secteurs) sur les règles de bonnes pratiques pour accueillir et prendre en charge les personnes ayant été traumatisées, ce qui représente une bonne partie de la population. Nous avions évoqué le sujet en 2019 dans un article de notre blog sur l’approche « sensible aux traumas » (https://www.prevention-violence.ch/2019/07/11/vers-des-institutions-sensibles-aux-traumas-traumatized-friendly/).
Des fiches et listings ont été élaborés par certains centres sur ce Trauma-informed care (TIC), mentionnant ce qui risque de retraumatiser les personnes victimes soit au niveau des système ou des institutions, soit au niveau des relations interpersonnelles (p.ex. : https://socialwork.buffalo.edu/social-research/institutes-centers/institute-on-trauma-and-trauma-informed-care/what-is-trauma-informed-care.html). Dans les solutions de principe, il est préconisé de tout faire pour que nos patients se sentent en sécurité, gardent la possibilité de choix et de contrôle avec un consentement éclairé, aient confiance, se sentent reconnus et valorisés (techniques d’empowerment).
Pour les professionnel-le-s de la psychiatrie et de la psychothérapie formé-e-s en psychotraumatologie, notamment ceux et celles qui exercent régulièrement dans le soutien des personnes victimes, ces consignes paraissent assez évidentes.
Les médecins de premier recours qui ont également des formations à la conduite d’entretien, aux thérapies narratives, et à la prise en charge des personnes issues de la diversité et les plus précaires, ne se retrouvent pas en terrain inconnu. Ils sont généralement bien au fait que la posture éthique détermine principalement la dimension thérapeutique d’une relation.
Ethique relationnelle
Il peut être important de rappeler des principes de pratiques professionnelles dans les soins à savoir la notion d’éthique relationnelle, et ses liens avec la philosophie et l’anthropologie. En effet, les conceptions scientistes sont incapables d’intégrer les sentiments humains, la qualité des relations et la dimension symbolique spécifique de la psyché humaine. Dans notre clinique, nous accueillons d’abord des sujets avec leur propre expérience, plutôt que des individus nécessitant une réponse purement technique. Le sujet est au fondement des représentations et des actes de la personne, la rendant actrice de sa vie. Il inclut l’intersubjectivité, donc la relation qui suppose des valeurs partagées. Ces sujets sont souvent isolés, psychiquement épuisés tant leur reconnaissance minimale et dignité ont été bafouées.
La relation thérapeutique est une expérience de présence à soi, à l’autre, à la vie. Par cette relation, le patient doit se mettre à sentir qu’il existe, et il faut vivre et faire vivre la présence thérapeutique pour un réel changement. L’éthique cherche à poser les questions qui orientent les réponses vers le plus utile et le plus juste dans une situation donnée. Elle introduit une pensée socialisante en rejoignant le processus de triangulation qui construit le sujet, tout en tenant compte de la réalité humaine imparfaite. Elle examine les choses dans la profondeur de la réalité, de leur vérité, pour les agencer dans le sens de ce qui est bon pour la vie. La hiérarchisation des valeurs est une démarche essentielle de la pensée éthique.
La psychothérapie relationnelle ne cherche pas tant à guérir qu’à remettre en évolution le devenir d’un sujet libre et responsable.
Le thérapeute ne doit pas être moraliste, et il est encouragé à tenir compte d’une nature humaine qui ne soit pas fictive, trop idéalisée. Il doit balancer entre le fait de comprendre sans juger ni sentiments hostiles, tout en s’indignant sur l’intolérable pour améliorer le vécu, la dynamique vers l’accomplissement de la personne. L’objectif est que le patient redécouvre la joie de pouvoir être, de poser des actes libres.
Le professionnel doit garder une attention vigilante et empathique à la globalité de la personne et de soi-même. Proposer une qualité de présence avec une ouverture constante à l’inattendu, un accueil de ce que l’on ne peut pas comprendre, une sorte de veille au mystère de l’autre, de soi, du vivant. Cette qualité sert à s’élever au-dessus des opinions toutes faites, des habitudes de pensée et des croyances. La présence relationnelle complète s’inscrit dans une dynamique, un mouvement transformateur d’instant en instant. La présence à l’autre implique une séparation d’avec soi-même, ses théories, son expérience et son savoir. Il doit y avoir un espace vide nécessaire ouvert qui permet l’inattendu de la rencontre, dans une attitude de sujet à sujet d’égale valeur tout en étant différents par leur personne et leur rôle. La présence éthique fait lien sans que l’un puisse se perdre dans l’autre ni que l’un ne se coupe de l’autre pour s’en protéger. Il s’agit de rendre la personne autonome et capable, sans céder aux conditionnements du passé qui la tentent toujours, et en considérant l’être de la personne au-delà des pathologies qui l’encombrent. Répondre de soi oblige à un questionnement personnel, le patient doit répondre à l’engagement du praticien par son propre engagement envers son travail personnel, sa sincérité et son application à la mesure de ses possibilités.
Communication non-violente (CNV)
Pour les médecins souhaitant approfondir le TIC, la CNV peut être un outil qui permet d’entrer en contact aussi bien avec nos propres valeurs et besoins, qu’avec ceux des patients, et de créer de nouveaux liens au travail, avec bienveillance, dans un dialogue et un rapport de complémentarité.
Cela implique par exemple pour chaque situation d’éviter des stratégies potentiellement déshumanisantes ou destructrices, où les patients pourraient se sentir jugés, étiquetés, discriminés, blâmés, commandés, punis, culpabilisés… Il s’agit de ne pas partir du principe que l’autre me comprend juste parce que je suis professionnel et censé être empathique. Nous devons témoigner d’une compréhension respectueuse à l’égard des besoins de l’autre, en vérifiant ce qui a été compris, voire en le reformulant si nécessaire.
L’empathie est la présence complète de ce qui est vivant chez l’autre dans l’instant. Elle doit être associée à l’honnêteté qui contribue aussi grandement à la guérison. Bien que les capacités empathiques puissent varier en fonction des personnalités, elles peuvent se développer par l’entraînement, les formations, intervisions et supervisions, par exemple en prenant conscience de nos jugements, pensées critiques, colères, silences délétères…
Pour voir le monde, soi-même, les autres, encore faut-il avoir envie de les voir, ne pas trop se méfier ou se protéger dans un mode de survie. Attention donc à l’usure dans le travail ou par les actualités…
Escard E, Rinaldi Baud I. Complexité, interdisciplinarité et éthique des soins en médecine de la violence : principes d’une exception qui ne devrait pas l’être… BMS 2015 ; 96 (31-32) : 1107-1119.
Koury, S. P., Green, S. A., & Way, I. (2022). Trauma-informed organizational change manual. The Institute on Trauma and Trauma-Informed Care. http://socialwork.buffalo.edu/trauma-manual
Lefebvre Y. L’éthique relationnelle. Comment la relation peut devenir soignante? Enrick b Editions, 2019.
Rosenberg MB. Communication NonViolente et pouvoir. Les clefs d’un langage instaurant adhésion et confiance. Rosenberg MB. Interéditions, 2025.
Substance Abuse and Mental Health Services Administration. (2023). Practical guide for implementing a trauma-informed approach. Author. https://store.samhsa.gov/sites/default/files/pep23-06-05-005.pdfDownload pdf